mercredi 21 septembre 2011

Rhinite continentale

A peine sur le continent que je commence à avoir des aphtes. Dans la nuit qui suit, j'ai déjà arraché de la peau autour de mes ongles sans m'en être rendu compte. Je tousse, j'ai la migraine, je recommence à avoir besoin de sommeil. Je suis allergique à la terre.

Le coup du grand cormoran

Ben alors ça!
Il faut une longue marche où on perd vite espoir dans les algues pour atteindre le petit Sperone. Mais quand on a fini par le trouver on regrette plus du tout le chemin marécageux et gris. Passé le cap du chemin interminable et du maquis brûlé, c'est une petite boite à bijoux toute petite qui apparaît entre les branches de pins (et non les tranches de pain). Pas une minute à perdre, on est pas venus pour enfiler des perles. Cette baignade restera inoubliable pour le coup du cormoran. Il est tout près à la surface et il a l'air de nous ignorer et d'avoir faim. On replonge la tête sous l'eau et on se rend compte qu'on est entrain d'être rabattus avec les poisson: on est à contre courant au milieu d'un immense banc de poisson qui s'enfui de toutes ses forces fuyant l'apocalypse. Je me dis oh mon dieu on va se faire tuer. Il apparaît au bout, de toute beauté, en pleine chasse aérodynamique, face à nous à cent à l'heure. Il a un petit mouvement qui montre un peu d'étonnement en arrivant nez à nez avec nous, mais il a tellement faim. Il nage au fond à toute vitesse. Je remonte pour pas me noyer parceque je peux pas me retenir de faire haaaaaaaaan! (ce qui peut être dangereux sous l'eau parfois). Haaaaaaaan! tu vois Océans! et ben c'est Océans! C'EST OCEANS.

jeudi 15 septembre 2011

La Sémillante

Par le hublot je vois une vague qui revient de 1855 et qui englouti la Sémillante et tous ses marins. Tous ses 700 marins qui ont fait naufrage et qui ont perdu dans le combat sans fin face à la mer, qui reposent en paix sur cette île déserte balayée par le vent. C'est au-dessus des morts de ce navire fantôme que nous voguons. Désert, calme, rocheux, au milieu d'une mer agitée. Sous la coque défilent parait-il des profondeurs irrégulières, des dangers d'aventuriers, des reliefs inconnus. J'y vois les eaux turquoise habitées dans lesquelles je ne peux plus me retenir de plonger. Je marche dans le vent, sur les sentiers de sable au milieu des tas de cailloux, des éléphants, des ours polaires, des mouettes, des mains qu'ils dessinent. Il n'y a que du soleil et des rochers, des prairies d'herbe verte qui s'étendent et cristallisent sous le sel. Et au bout de tout ça il y a la mer, bleue comme de l'encre de stylo plume, et ses vagues qui s'engouffrent et s'écrasent sur l’île. Dans ces prairies vit une fleur rare qui ressemble à un lys et qui semble mourir sous ce climat mais survit. Et il y a surtout tout ce qu'on ne voit pas de la surface. On dirait une cité perdue. Et cette cité abrite des centaines de poissons, énormes, disproportionnés par rapport aux autres endroits. Peu sauvages, ils nous suivent comme des fantômes avec leurs énormes yeux. On a l'impression qu'il n'y a personne mais si on se retourne, on voit une ribambelle argentée de toutes tailles et des toutes espèces qui sont sur nos pas, ouvrent et ferment doucement la bouche comme pour nous parler. Magnifique. J'ai l'impression de plonger dans un immense aquarium, dans un autre monde. J'avance dans le labyrinthe vers le large, avec l'angoisse de voir surgir un de ces marins perdu devant moi. Il y a des plaines et des montagnes, d'autres lieux à explorer, des trésors enfouis. A l'entrée d'un recoin caché, deux grands yeux irisés me fixent dans le noir. Je vois des grandes nageoires un peu rouges-brunes qui ondulent, j'ai trouvé un mérou. Je reste trop longtemps, je m'épuise à contre-courant, et je ressors gelée, comme d'habitude. J’entre dans le cimetière. Une sorte de voile de temps passé le recouvre, les tombes carrées anonymes et pour la plupart vide à cause des marins jamais retrouvés. Une plaque illisible qui a subi l’érosion, et des murs de pierres qui entourent ce refuge ou la fragile végétation reprend ses droits. Quelque chose dans ces paysages pèse lourd mais tout est vite balayé par l’air pur. Après m’être retournée mille fois sur mes pas, nous laissons derrière nous l’île déserte, hantée par des poissons énormes et des morts.

samedi 10 septembre 2011

Le sémaphore

Tout tient dans la main et pourtant tout est éloigné de tout. Il faut des millénaires de ferry retardé par la tempête pour toucher terre encerclée d'eau. Dans la lumière de six heures, après une nuit climatisée et un thé vert dans les voitures serrées, une longue marche et remarche sur le port de Toulon soir de match, se dessine ma plus chère des côtes en contre jour sur un soleil rose. Accoudés au pont dans des k-way bleus. Tartines méga express, déjeuner continental, débarquement en gare de Bastia. Glissons lentement vers le sud, tombons lentement dans la nature sauvage. De moins en moins de gens, moins de maison, fin de carrefour market, pas de train, pas d'autoroute, plus que du maquis. La route n'en finira jamais de s'étendre, les heures passent, les kilomètres à deux à l'heure, et apparaît au bout des lignes blanches infranchissables mais franchissables pour certains, la baie. Des montagnes de maquis qui se referment sur une baie aux eaux turquoises et au sable blanc. Des marais avec des animaux des marais, des pins biscornus sur la plage pour dormir à l'ombre, des vaches sauvages allongées sur le sable au milieu des rares parasols. C'est fini pour tout le reste. Se débarrasser du superflu. Se débarrasser de tout. En enterrant mes pieds dans le sable, en enfilant mon masque, j'ai l'impression de déposer un sac à dos lourd rempli d'affaires inutiles que je regrette d'avoir porté, et du coup de m'envoler délestée. Et encore, c'était sans avoir idée des rencontres qui se profilaient.
Randonnée, saucisson, Pietra, baignade dans des trous d'eau verte laissés par la rivière asséchée, jacuzzi naturel dans la roche, marche sous la forêt de pins immense de l'Ospedale, contemplation du barrage du lac dans la brume, cascade méritée de Piscia di gallu après descente et remontée à la corde, Bonifacio suspendue au bord du gouffre battue par le vent et les vagues, bouillabaisse de pêcheur d'exception, sémaphore de Pertusato au dessus des eaux bleues et des falaises de calcaire, pointe de la Chiappa, son phare à l'abandon une chaise en plastique devant l'immensité de la mer sous les figuiers de barbarie. Locaux militaires en pierre désertés et libres, en ruine et à tous. Rhum citron, ciel incroyable et étoiles filantes sur la mer, tempête, le plus bel orage presque tropical, qui fait plier les palmiers et exploser le maquis.
Il n'y a plus de nuit pour moi, le tout c'est de se lever tôt et d'emprisonner le moindre grain de ce sable. Parmi tous ces grains de sable, il y en a un qui n'a pas fini de me gratter dans ma chaussure, et celui là j'y reviendrai plus tard. Les heures se sont écoulées dans le grand bleu, qu'on soit percutés par les vagues, qu'on contemple la mer d'une falaise, qu'on soit tout au fond à voler en rasant le sol, entourés d’innombrables poissons.
Épuisés, il faut refaire toute cette route à l'envers pour revenir au point de départ, mais le sac à dos reste plus léger qu'à l'aller. On y a remis une partie des affaires parceque c'est la vie, mais certaines, lourdes, restent derrière nous. On joue du piano dans le bar du ferry où on boit des martinis et des whisky. Le bal des serveurs et serveuses est une grande danse coordonnée d'additions et de sourires, les notes, le thé chaud, la côte qui disparaît et qui fera bientôt place au grand large, je suis entrain de m'endormir assise les yeux ouverts.
Des crampes de palmes me réveillent la nuit. Et des sursauts où des créatures immenses apparaissent dans l'obscurité au fond de l'eau. Des tâches d'argent apparaissent tout autour de moi, et je m'endors, comme diluée dans un poison, comme si une morsure venimeuse me berçait au rythme des vagues.