Par le hublot je vois une vague qui revient de 1855 et qui englouti la Sémillante et tous ses marins. Tous ses 700 marins qui ont fait naufrage et qui ont perdu dans le combat sans fin face à la mer, qui reposent en paix sur cette île déserte balayée par le vent. C'est au-dessus des morts de ce navire fantôme que nous voguons. Désert, calme, rocheux, au milieu d'une mer agitée. Sous la coque défilent parait-il des profondeurs irrégulières, des dangers d'aventuriers, des reliefs inconnus. J'y vois les eaux turquoise habitées dans lesquelles je ne peux plus me retenir de plonger. Je marche dans le vent, sur les sentiers de sable au milieu des tas de cailloux, des éléphants, des ours polaires, des mouettes, des mains qu'ils dessinent. Il n'y a que du soleil et des rochers, des prairies d'herbe verte qui s'étendent et cristallisent sous le sel. Et au bout de tout ça il y a la mer, bleue comme de l'encre de stylo plume, et ses vagues qui s'engouffrent et s'écrasent sur l’île. Dans ces prairies vit une fleur rare qui ressemble à un lys et qui semble mourir sous ce climat mais survit. Et il y a surtout tout ce qu'on ne voit pas de la surface. On dirait une cité perdue. Et cette cité abrite des centaines de poissons, énormes, disproportionnés par rapport aux autres endroits. Peu sauvages, ils nous suivent comme des fantômes avec leurs énormes yeux. On a l'impression qu'il n'y a personne mais si on se retourne, on voit une ribambelle argentée de toutes tailles et des toutes espèces qui sont sur nos pas, ouvrent et ferment doucement la bouche comme pour nous parler. Magnifique. J'ai l'impression de plonger dans un immense aquarium, dans un autre monde. J'avance dans le labyrinthe vers le large, avec l'angoisse de voir surgir un de ces marins perdu devant moi. Il y a des plaines et des montagnes, d'autres lieux à explorer, des trésors enfouis. A l'entrée d'un recoin caché, deux grands yeux irisés me fixent dans le noir. Je vois des grandes nageoires un peu rouges-brunes qui ondulent, j'ai trouvé un mérou. Je reste trop longtemps, je m'épuise à contre-courant, et je ressors gelée, comme d'habitude. J’entre dans le cimetière. Une sorte de voile de temps passé le recouvre, les tombes carrées anonymes et pour la plupart vide à cause des marins jamais retrouvés. Une plaque illisible qui a subi l’érosion, et des murs de pierres qui entourent ce refuge ou la fragile végétation reprend ses droits. Quelque chose dans ces paysages pèse lourd mais tout est vite balayé par l’air pur. Après m’être retournée mille fois sur mes pas, nous laissons derrière nous l’île déserte, hantée par des poissons énormes et des morts.
jeudi 15 septembre 2011
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