lundi 4 novembre 2013

Un al-gro-rimte rose-violet-rose-violet

Lilou me sourit malicieusement de toutes ses dents restantes sous la couette transformée en cabane. Elle est toute berchue. Je lui propose qu'on aille discrètement piquer des parts de gâteau dans le salon, sans que papi ne nous voie. Elle me regarde avec des étincelles dans les yeux et porte son petit index au rebord de sa bouche en signe de délectation. On se colle aux murs, elle ne comprend pas que si elle court dans le couloir, le bruit de ses pieds battant le carrelage éveille toute la maisonnée (théorie de l'esprit, elle croit qu'elle se cache donc elle est cachée). Dans le salon, je l'observe en douce, son petit bras qui s'étire depuis le dessous de la table pour aller tâtonner dans l'assiette et tomber sur une pépite de chocolat (ç'aurait été de l'or que ça aurait eu moins de valeur). Papi l'a vue, évidemment. Je lui fais chut de l'embrasure, d'un doigt en travers de la bouche. Il fait comme si de rien était et elle revient vers moi triomphante. Elle me dit qu'on est les plus fortes des marmottes, les plus fortes du monde pour les menus larcins, les méfaits sans conséquence. Ne reste plus qu'à manger cette part de brioche en l'entamant chacune d'un côté, au chaud sous la couette.

Elle saute partout, grimpe à la première perche tendue, et continue de vouloir faire la course contre moi alors que je lui mets à chaque fois un boulevard humiliant. Ça la fait rire que je ne la laisse pas gagner. Que je laisse se creuser entre elle et moi les dizaines de mètres qu'il y a entre 5 et 25 ans. Je l'attends au bout du chemin, bras tendus vers elle et elle s'y vautre allègrement. Elle a les joues écarlates et un point de côté, je me demande si elle ne va pas vomir. Je l'ai tellement secouée que quand je la repose par terre elle est pliée en deux, de rire et de tournis. Quand elle tourne les talons, dans son petit manteau, on dirait une miniature animée. De là c'est une petite marionnette, mais il suffit qu'elle lance une de ses remarques cinglantes – « c’était la miiiisèèèèère » pour nous laisser mesurer à quel point elle est dotée d'esprit. 

Pour se dire au revoir, je mime un uppercut. Elle reste bras ballants à rêvasser à d'autres mondes au goût d’amande. Des mondes de tomate-tomate, des mondes de marmottes mutantes, de princesses aux longs cheveux, des mondes où elle doit encore être en train de gamberger sur la métaphore à propos des liens d'amour que j'ai essayé de lui expliquer toute à l'heure.

[- Pourquoi ils sont attachés avec de la ficelle les gens là?
- Ca ma puce c'est une allégorie qui veut dire que l'amour peut créér une dépendance telle qu'elle est comparable à une ligature physique. C'est ce que représentent ces liens. Tu vois en gros, l'amour c'est comme faire ses lacets mais avec quelqu'un. Tu sais faire tes lacets non? Ben voilà.
Elle me regarde une seconde mi-interloquée, mi "tu te moques de moi", et explose de rire] 

Quand elle se réveille de sa torpeur d'enfant (mais défends toi chiffe molle!), elle riposte en agitant vainement ses poings dans les airs, et vient se fracasser le coin de la mâchoire contre mon poing immobile. Même pas elle pleure, la plus courageuse des marmottes. Elle vient se réfugier dans mes bras. Elle passe autour de mon cou ses dix doigts qui dépassent tout juste des longues manches de son pull en laine.

Quand elle s’en va, la maison redevient calme et la migraine point.