jeudi 20 décembre 2012

Doomsday



Si la fin du monde c’est demain, je m’en fous.
On a fait tout un foin. Suffisamment pour remplir l’écurie pendant tout l’hiver. J’ai réfléchi à ce que je ferai si tout à coup il ne restait qu’une journée à vivre. Les possibilités donnent le vertige et il faudrait faire vite, or, je déteste courir. Mon compte courant est vide, mon compte épargne est bloqué, et même, en 24h je n’aurai pas de temps de rejoindre le Pacifique pour aller y contempler le spectacle final à l’ombre d’un marae ou d’un palétuvier.
Avec étonnement, je me rends compte que mourir demain serait une possibilité envisageable sans regret. Mes affaires sont bien en ordre (sauf mon armoire mais qui se formaliserait là-dessus). Cette dernière semaine j’ai mangé un des meilleurs gâteau de foie de volaille de ma vie, avec des gens que j’aime à la folie, dans mon bouchon Lyonnais préféré. Je suis retombée sous le charme de Lyon, dans une ambiance magique de noël. Le lendemain, j’ai retrouvé mon bel appartement et mon cher plus-que-colocataire dedans. Ce soir, l’article qui clos un an de travail sur les dauphins sera soumis à Journal of Experimental Biology. Mes parents savent comme je les aime, et notre au-revoir aura été un muffin et un chocolat chaud à Häagen Dazs. Mon chat est parti et aucun ne le remplacera. J’ai passé mon entretien pour un stage et le sort n’est plus entre mes mains. J’ai repris goût à des choses qui m’avaient quittée, suis sortie de mon indifférence. J’ai réussi une crème brûlée, bu un grand cru classé, chassé une phobie, appris à profiter de l’instant.
Bref, l’apocalypse peut venir sans se méfier, et tant qu’à faire autant que ce soit dans un grand feu d’artifice final.
Si malgré tout il faut faire un vœu et que se contenter de ce qui a eu lieu n’est pas toléré dans le dernier contrat, alors je prendrais :

Say goodbye with love



Entrée
Saumon fumé, roquette, et un roman de Pennac
Seule
Dans un aéroport lointain.


Plat principal
Un gratin dauphinois, un Bordeaux d’exception, une vue imprenable
Avec mes petits loups, ceux que j'aime le plus au monde
Sur le mont Saint Eynard

Et
Un burger maison
Avec mes copains de fac
Sur les quais de l’Isère

Dessert
Un tiramisu Amaretto
Avec un inconnu
 A Come prima

Un café, serré, et l’addition.

mercredi 19 décembre 2012

Epitaphe de chapitre



En hommage (en "félinage?") à mon vieil ami parti.

Il est peut-être temps d’écrire ce chagrin. Des semaines et des semaines que je n’ai pas le courage de m’atteler à cette montagne qu’est dire au revoir à mon chat. Jusqu’ici, une défense s’est battue pour garder tout ça a une distance raisonnable, mais je sens que c’est terminé. L’hiver est là et je ne pourrais plus fermer les yeux longtemps sur le fait que mon canapé est vide, et qu’il manque un ronron quand je m’endors devant Mezzo.
Mon ange gardien a filé en douce quand j’ai eu le dos tourné. Il a veillé silencieusement sur moi pendant douze années en me regardant amoureusement pleurer, s’est assis à mes côtés le regard droit devant lui, dans la même direction que le mien, un nombre incalculable de fois sur la marche devant la maison (devant tous les ciels possibles, de l’orage d’été au rose saumon du printemps, en passant par les lourds ciels neigeux d’hiver). Sa mission s’achevait peut être. J’ai grandi. J’ai changé. Il m’a fait traverser les pires périodes, une partie de l’enfance, une turbulente adolescence, une pneumonie, une dépression, des chagrins d’amour et d’amitié. Quand j’ai enfin commencé à sentir le sol se stabiliser sous mes pieds et mes pas devenir plus sûrs, il s’est éclipsé.  
Ce chat était un fil conducteur. Il était présent dans le décor pendant plus de la moitié de ma vie. Quelqu’un a vu le chat ? Il est passé où ce sac à puces ? Ah ben t’es là toi ! Ca va la vie, tranquille minou ! Oh shoopi, viens là. Comment il s’appelle ? Il s’appelle pas, c’est LE chat.
En deux temps trois mouvements, pendant que je profitais d’un long repos au bout du monde pour me restaurer, il est tombé malade et s’en est allé mourir dignement plus loin. J’imagine l’agitation et le vacarme qui ont dû suivre dans la maison de mes parents. Je sais aussi le poids de me cacher un tel secret pendant des semaines, et l’angoisse de tout le monde ici de m’annoncer à mon retour que mon compagnon avait disparu. Je crois même que c’est ceux qui étaient là qui ont le plus souffert. Comment passer l’hiver sans cette boule de poils sur les genoux, comment va survivre la petite. Ils l’ont cherché sans relâche, ont téléphoné partout, sans que rien n’y fasse. Ils ont cru chaque jour qu’il reviendrait, mais finalement c’est moi qui suis revenue, et personne pour manger les croquettes restantes.
Un chat ce n’est pas juste un chat. Et surtout pas CE chat. C’était pour moi un précieux allié, plus qu’un ami, un des rares êtres vivants à qui je pouvais donner sans rien demander en retour, sans imposer les conditions de mon royaume. Il était un tuteur, il m’apprenait l’affection et l’amour que je suis incapable de donner aux gens.
« Son devoir était terminé élo, tu es devenue forte et tu n’avais plus besoin de lui pour te protéger ».
Petit félin de mon cœur, bienvenue dans le club très fermé des morts qui m’accompagnent.

jeudi 6 décembre 2012

Rear-view mirror



On tape avec un marteau sur ma tête pour y enfoncer un clou. Et ça ne va pas faire un meuble. J’ai l’impression, comme souvent dans ces moments-là, que l’on ne voit à travers nos yeux que parce qu’ils sont transparents. Et que si le reste de notre corps l’était aussi, on pourrait voir dans une plus large mesure, avec un champ visuel plus étendu. Cette sensation d’une fenêtre ouverte qui ne laisse passer le jour que dans son cadre – d’une migraine ophtalmique peut être -- m’est familière. Je me sens un gardien qui observe à travers le hublot de son phare. Je dirige le faisceau de lumière là où je veux, et  le reste du paysage devient immédiatement noir. Mais je sais qu’elle n’appartient qu’à moi et qu’on ne la comprend pas.
Un jour à l’école, j’ai compris qu’être aveugle, ce n’est pas voir du noir. C’est ne rien voir du tout. C’est exactement comme lorsque l’on pense à ce que l’on ne voit pas dans son dos. Il n’y a pas de noir ou de flou, c’est juste que ça n’existe pas. J’imagine le trouble si l’environnement entier devenait comme ce qu’il y a derrière mon épaule. En même temps dans la vie quotidienne, personne ne s’en soucie. C’est bien que l’on peut vivre sans aussi.