lundi 23 février 2015

L'autre qui l'emporte


Déjà vécu ce moment. Celui-là, là.

Et tout à l’heure, il y avait quelque chose d’anormal dans la contemplation de ces quatre photos qui apparaissent alors qu’il tombe de la neige mouillée sur un château.
Leur cohérence, la manière dont on perçoit, plus que je ne l’aurais cru, la marche d’un observateur qui se dirige vers un jardin à la française. Observateur qui rejoint le pont, et commence à voir à travers les yeux du personnages qui s’y penchait sur les photos d’avant. Tu as dit que c’était comme si on voyait le passé en train de rejoindre le présent. Et il a fait très froid, plein de bourrasques au fond desquelles je t’entends rire. Et il y a un cygne sur la neige avec les ailes enflées comme une voile.
Les photos ont gondolé. Des gouttelettes irisées parce que j’ai soufflé dessus. Elles se dévoilent mal. Peinent à apparaitre.
Un malaise nait.
Dans ce moment qui, par son contenu, n’arrive pas à être ce dimanche-là.
Il ne va rien se passer. Rien. Pas plus de peur que de mal.
Et ensuite on s’est pris une voiture, un aquarium.
Je faisais autre chose, je n’ai rien vu, je n’ai eu le temps de contracter aucun des muscles qui servent à amortir, anticiper. Je l’ai pris juste comme il est venu, de plein fouet. Il parait que je me suis fait mal mais que j’aurai moins de courbatures et que je ne ferai pas de cauchemar de cette scène puisque je n’y étais pas.
Comme je ne l’ai pas vue, je ne l’ai que sentie.
L’univers est devenu petit et rétrécit. Il fait environ la taille de mes bras tendus devant moi. Il se termine là où mes mains ne peuvent plus toucher.
Est-ce que ça va avancer encore et l’on va être happés.
J’aperçois le rebord du puit, l’espace et le temps, liquides, épais et déformés. Quelque chose que je croyais incompressible se comprime. Tu dis que c’est le passage d’une vitesse à une vitesse nulle qui a fait ça. C’est l’ourlet de la galaxie. Comment te dire. Ce qui a eu lieu a duré une poussière de seconde, mais c’était merveilleux car je voyais la limite. J’ai repensé à l’énergie qu’on emmagasine en descente, et qui te fait peur.
Le temps se déploie. Le choc, dont on croit de dehors qu’il est un Dirac, point dans le temps, est un moment qui passe et qui contient plusieurs mouvements.
Je n’ai pas eu peur mais j’ai eu mal.
Je ne peux plus respirer.
Les photos.
Est-ce que je peux sortir de cette voiture ?
La collision n’est que la manifestation sous une autre forme, du malaise pressenti en bas du château. Le passé rattrape le présent.
Le choc restitue chacun à son vase clos. On devient des fourmis automatiques qui décrivent des cercles au petite malheur la chance, sur un bas-côté enneigé. Je ne marche nulle part d’autre que dans ma tête, une crise d’hermétisme comme elles le sont parfois. Je suis seule ici et ne compte que mon génome égoïste, il est vivant, étrange célébration. Je ne veux rien. Ni rentrer chez moi, ni que le froid cesse, ni que cette situation change. Elle va bien. Le monde fait 20m2 d’herbe mouillée maintenant, il s’est considérablement élargi et pourtant il est moins confortable. J’y aligné mes pieds, m’assois sur des pierres, ma tête est vide, vide, vide, enfin vide, enfin. J’ai juste mal au cœur en vrai et je ne souhaite plus rien.
Les gens sont gentils. Ils ne veulent pas que les jeunes soient blessés. Pourtant le reste du temps ils sont des cons.
Où sont mes photos.
Qu’on arrête de vouloir m’extraire d’ici.
Mais laissez-moi encore un peu dans la mort, merde.
J’ai beau vouloir la vie sous toutes ses formes, aujourd’hui, c’est l’autre qui l’emporte.