dimanche 25 juillet 2010

Les puces, ça me démange!

J'ai bien mangé. Les dimanches matins sont merveilleux ces derniers temps, remplis de nourriture et de personnalités. Les puces, c'est compliqué au début, parce que c'est sale et puis ça pue, les gens sont sales et puis ils puent. Il faut pas avoir peur de la poussière ou de la vieillesse. Et petit à petit ils s'immiscent.
Derrière la poussière, il y a de beaux objets, à manger, photographier, décorer, vendre, revendre, négocier, marchander, casser. Je me sens petite au marché. Je suis la petite voisine des grands voisins.
Ici, au milieu des pauvres et des riches (parce qu'il y a les deux, non différenciables a première vue), manger quelque soit l'heure, boire quelque soit l'heure.
Tous ceux qu'on ne croise jamais dans la vraie vie sont ici le dimanche. Les puces, c'est une parenthèse dans la vie, un à côté bien attrayant. Je ne sais plus où regarder, entre les bobs roses, les pantalons taille haute à motif chaton, les moustaches recourbées, les chaussettes dépareillées sous des sandales, les heures perdues à écouter sagement les monologues de Brassens, les inepties des fous, le savoir des bourges.
Et puis aussi, de l'autre côté, il y a le stand d'Agnès. Le voyage qui nous prend dès qu'on y met le pied, dès qu'on passe un collier de corne autour du cou, quand on joue avec des billes de mercure dans des tubes à essais, ou qu'elle nous offre un demi à 8h du matin.
Je vais prendre un coca.
Nos voisins ensemble depuis qu'ils ont quinze ans. Aujourd'hui, ils en ont cinquante, et dans l'arrière boutique, a toute heure, pour tout le monde, jambon cru, vin blanc, mousse au citron.
Moi je fais mon petit bazar, je vend pas grand chose de ce que j'ai fabriqué, je gravite dans le cercle et je ramène un petit billet. Ça suffit. De toute façon il y a derrière tout ça bien plus qu'une histoire d'argent.
Le reste de la semaine, le dimanche me manque. C'est venu un peu comme ça, c'est devenu comme ça.

dimanche 18 juillet 2010

Lenteur caniculaire


Après le dimanche 27 juin, tous les jours sont comme des lendemains de soirée. Bizarre, il fait très chaud, la vie est au ralenti, lenteur caniculaire, désert, pas de dessert. Pas de dessert parce qu'il fait tellement chaud, pas mangé depuis mille ans. J'attends ce mail, depuis une semaine, dont ma vie dépend en partie, et qui ne vient pas. Est ce qu'il viendra? Le tarot de l'amour a dit, attentes vaines, déception. Je vois le genre. Sympa. J'aime Grenoble mais j'aimerai mieux retourner la bas. Au moins le temps d'une étude, d'une virée à l'eau, d'une baignade, mal de terre. Pour corser les choses, les travaux du tram, on s'engouffre dans le bus avec les autres vingt mille passagers, on fait la queue, on attend en plein soleil, on entend des pétards, on va mourir ici. Pour nous remémorer le tableau, un magnifique feu d'artifice sur le thème de la biodiversité, madagascar, l'écologie, requiem for a dream, « retrouver les baleines, parler aux poissons d'argent, comme, comme, comme avant ». Qu'est ce que c'est beau les explosions. Il y avait tellement de fusées, on entendait la guerre, le ciel s'est rempli de dorures, jusqu'à devenir doré. A la fin, c'est le ciel qui a envahit le feu d'artifice. Une mélodie de pluie de grenouille.

A y regarder de moins près, on est des milliers. Le parc, on dirait une fourmilière, ça bouge partout, les artères sont bouchées de monde qui avance lentement. Toutes les rues, tous les itinéraires sont pleines de gens grands, oranges, avec des vêtements d'été. Léger malaise. J'ai besoin de reprendre le mer.

La consolation se passe au dessus de la ville. Du douzième étage, le 13 juillet à 22h30, le concert de feu d'artifice. 13 feux d'artifice en tous les points de l'horizon, Grenoble explose a toutes ses frontières, quel spectacle. Je savais que ça serait beau, je vous l'avait dit, je vous avait prévenu, vous me croyez maintenant?



vendredi 9 juillet 2010

Rorqual commun à trois heures


Dimanche 27 juin, la mer se réchauffe, la vie reprend.

Ce dimanche, on l'a attendu pendant des siècles. Et il est venu, avec du soleil pour trois petits marins. J'ai mis mon polo de marin, comme vingt milles autres filles cet été, mais pas pour les mêmes raisons. L'appel de la salle des machines, les miles nautiques, les noeuds et l'équipage. On prend le large, on prend le vent, je prend l'eau jusqu'au coeur. A moitié endormie sur le pont dans le soleil et l'air, je sais pas encore que ma vie va passer par dessus bord, toucher au but. Quatre fois.

La première fois, la contemplation

La croix du sud sillonne les canyons et des centaines de mètres d'eau défilent sous nos pieds. Le sniper, « oeil de lynx » scrute l'horizon, à la recherche d'un indice de la présence de la vie or de terre. Un reflet argenté à dix heures, un aileron, quinze ailerons, blancs, balafrés. Il faut du temps aux yeux pour s'habituer aux accrocs sur une eau en film plastique. Ils sont là et ils viennent à nous autant que nous à eux. Le dauphin de Risso de quatre mètres est rare et magnifique et ils sont quinze à nager autour de nous, avec des petits. La joie a fait sa place sur le pont, dans les yeux des gens, et dans les miens qui pleurent, à cause des courant d'air. Il n'existe plus rien. Pendant des heures.

La première rencontre est inespérée, la suite revient a gagner au jeu.

La seconde fois, la multitude

Il faut bien un jour ou l'autre se descratcher de la contemplation du dauphin qui ne cicatrise pas, et commencer à cicatriser soi même. Le bateau abandonne les melons blancs. Un bonheur arrive souvent seul mais pas cette fois. Cette fois c'est ma fête. Le dauphin bleu et blanc est commun, pour ceux qui voyagent. Pas pour moi. Des tâches sombres s'agitent a l'horizon, très loin, impossible de distinguer là ou le groupe s'arrête. A 180°, des ailerons noirs, de tous cotés, à l'infini, une centaine. J'entends mon coeur résonner dans ma tête. Qu'est ce que je fais ailleurs qu'ici. Comment j'ai pu attendre. Petit à petit, le bateau s'encercle de beauté. Ils jouent, sautent, passent à la vitesse du son sous le bateau. La mer est un ciel de jeu, miné, explosé, rempli d'étoiles argentées et de reflets, partout ou le regard se pose. La lueur de l'intelligence dans des yeux animaux, l'émerveillement des adultes au dessus de la rambarde. La rambarde souffre, mes poumons souffrent, je ne céderai jamais.


La troisième fois, mon coma personnel.

Ici je meurs. A ce moment du récit, de la buée et du coton a l'intérieur de moi. De longues minutes sont passé, une atmosphère de sieste a rempli le bateau. Sur le pont supérieur nos yeux ont du mal à ne pas se laisser emporter par le bercement de l'eau et le soleil de plomb qui tape a la verticale. Sous mon chapeau de paille je vois des vagues, je commence a tanguer de sommeil, pendant qu'oeil de lynx détaille le monde entier. J'ai peu d'espoir pour la suite, j'ai du mal a me remettre de tant de beauté, de toute façon, la journée aura été magnifique.

Mais non, quand c'est décide c'est décidé, souffle de rorqual commun à trois heures, à plus de deux kilomètres. Mon corps s'est soulevé sans l'aide de mon cerveau du banc et à partir d'ici, la tachycardie ne m'a plus jamais lâché. Le rorqual commun. Le rorqual commun. Le deuxième plus grand animal du globe sur lequel tu vis. Le rorqual commun. Une baleine. Ce que tu as le plus envie de voir au monde. Le rorqual commun. Ici, aujourd'hui, dans quelques minutes, après quelques kilomètres, tu seras la. Je la vois de très loin, la tache noir dont j'ai tellement rêve et je ne sais plus si je suis dans la vraie vie. Je perd pieds, je vais me noyer.

Elle avance, sonde quatre minutes, remonte à la surface pour trois à cinq respirations. Nos yeux sont rivés. Plus signe de vie sur le pont. Plus de bruit de moteur. Plus de son humain. Plutôt mourir que de gâcher une seule seconde du scénario. J'ai renoncé à la caméra, à l'appareil photo, à respirer et à ne pas tomber. Debout sur le banc, déséquilibrée, sur le fil, je ne m'arracherai plus jamais.

Mutisme. La gueule se dessine sous la surface. Un trait blanc à travers l'eau, le dessus du dos rond, l'aileron dorsal, la suite infinie du dos. Seize mètres de peau noir brillante qui défilent en arc de cercle a quelques mètres de nous. Dans le silence, la puissance du souffle, le jet d'eau de l'évent, l'inoubliable reprise de souffle du rorqual commun pour le reste de nos jours et nos nuits.

Après la contemplation interminable, hors du temps, il a fallu partir. Laisser suivre sa route à l'immensité et ne pas dévier sa trajectoire pour qu'elle continue d'exister dans notre mer, à d'autres lieux, dans d'autres temps. Je chavire.

La dernière fois, le balai rarissime.

En Méditerranée, on ne voit jamais le diable de mer. Sauf nous. Dans le sillage du bateau, quatre vaisseaux sombres rasent la surface. Elles viennent vers nous, contre la coque. Elles s'exhibent, font plus d'un mètre cinquante, volent comme au ralenti, nous font un vrai spectacle avec des sauts (me croit qui veut, de toute façon cette journée ne se raconte pas). Un honneur, une chance inespérée. Le coeur des scientifiques de l'équipage a chaviré aussi. Celui des photographes. Celui du capitaine. Les marins ne retiennent plus leur joie.

La fois manqué, l'écorchure.

Au loin, le souffle oblique d'un cachalot (Jojo) qu'on ne retrouvera pas. Dimanche 27 juin, je remet le pied sur la terre ferme à contre coeur. Je sens un pincement, une fin qui vient et qui aura bien du mal a guérir. J'ai la tête qui tourne, trop pris le soleil, trop regardé dans mes jumelles et je ne met plus un pied devant l'autre. Je suis vide d'énergie, à bout de ressources, dans le coma. Des souvenirs qui me paraissent déjà irréels, à part la baleine, dont le mouvement fluide ne s'efface plus de ma mémoire. La nuit, des masses énormes glissent sous mes pieds, expulsent de l'air et replongent pour toujours dans les profondeurs. Au bord de la mer, des ailerons par milliers, des reflets argentés, des éclats invisibles a l'intérieur de mon moi morcelé.