mercredi 12 juin 2013

Der blaue Reiter



Pendant que se déroulent ces 2500 kilomètres que nous avons à faire en trois jours, mon esprit ne cesse de vagabonder et mes pensées de se creuser comme des fossés. Puisque nous n’avons pas tant de chose que ça à nous dire qui pourraient faire durer une conversation autant d’heures, chacun s’absorbe dans ce qu’il pense. Je n’ai pour ma part jamais peur d’aucun long voyage. L’opportunité de s’asseoir dix heures de suite au même endroit sans rien faire nous est rarement donnée autrement, et dans ces moments (comme quand je conditionnais des lingettes à la chaine) de bonnes idées me viennent généralement.
La première, ce n’est pas une idée mais un bête constat : l’Europe est uniforme. Les paysages français, suisses, allemands, sont les mêmes paysages à quelques détails près. Les autoroutes sont les mêmes, sauf qu’on y roule bien plus vite et sans payer. L’Allemagne c’est surtout une immense succession de forêts et d’éoliennes pas toujours en marche. On ne se rend pas compte de la taille d’une éolienne quand elle tourne avec le vent, mais immobile, le paysage devient inquiétant comme si le temps était figé en attente d’une catastrophe. Je vois qu’en bas il y a une porte et j’imagine la longueur de l’escalier pour atteindre l’hélice inerte. Des gens (des employés d’EDF allemand) doivent avoir la clef des éoliennes, et pouvoir emmener diner une femme en haut. Mais j’ai beau chercher, je ne vois aucune ouverture, il ne semble pas y avoir de hublot. Dommage, la vue doit être saisissante.
Des véhicules occupent ce qui semble être l’espace de quatre voies. La route est large et sans démarcation. J’ai du sang qui pulse dans ma tête et une douleur aigüe au ventre quand nous passons devant Francfort au loin, qui semble de là tellement économique. Les buildings du quartier des affaires forment un ilot qui dépasse comme un morceau de Tokyo. Je brule d’envie de voir de plus près. Mais pour l’instant la douleur me plie en deux. La route si étendue donne envie de faire grimper le compteur toujours plus loin.
Je suis dans un état tellement inhabituel par moment que je me demande si je n’ai pas confondu mon comprimé contre le mal des transports avec un Lysanxia rangé au même endroit. J’essaye de me souvenir de la scène où j’ai avalé le cachet rond de la petite boîte bleue, et j’ai un doute. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas le mal des transports, et je ressens l’effet de ce qui pourrait potentiellement être un anxiolytique. Mise à part la douleur fulgurante qui me lance toutes les heures du côté droit, je me sens étrangement seule. Et étrangement bien.

samedi 1 juin 2013

Une vieille archive non publiée en temps et en heure



Je chercher, je cherche, je cherche, mais même en creusant: je ne tomberai pas amoureuse ce printemps.
Même si l’amour est une masse informe (et visqueuse) qui s’amasse au loin pour le moment, le printemps est en train de lutter comme un acharné pour prendre la place de l’hiver, et c’est un des plus beaux moments de l’année.
Personne ne l’avait remarqué avant qu’il ne se mette à faire manifestement et ouvertement beau. Pourtant déjà le magnolia blanc en bas était en boutons. Les merles avaient recommencé un matin à chanter et A. et moi nous étions arrêtés net dans notre élan devant cette sonorité inattendue, dont les dernières notes résonnaient du fond de 2012 (ramenant avec elles un flot de souvenirs violents).
Suite à cette avant-première, les choses sont allées très vite, et ont perdu de leur exclusivité : les gens de la ville n’ont plus pu ignorer le changement, ils sont partis à la pêche aux moules moules moules. Du soleil sur les terrasses, un monde fou en centre-ville. Des amoureux qui collent. Des filles belles-moches qui font des activités nulles-ennuyeuses avec des hommes fades-faux-jeton. Et ce juste parce qu’il fait beau et qu’il ne faut sous aucun prétexte être seul dans cette vie.
J’attends N. sur un banc au milieu de ce gentil petit monde qui s’allonge par terre et qui jongle. Les couples s’aiment outrageusement sur les bancs, et je songe à toutes celles que je ne serai jamais : cette fille qui tient son sac à main dans le creux de son coude et son IPhone dans sa main ; cette fille sur les genoux d’un jeune homme fou d’elle, cette fille les jambes croisées qui pianote d’un doigt, cette fille qui s’arrête au milieu d’une allée pour embrasser quelqu'un.
Il me faudra trouver un homme avec qui rester simplement assis sur un banc, immobiles dans le soleil, chacun dans son roman. Un homme qui accepte de ne pas faire les brocantes sur les quais main dans la main mais simplement côté à côté (ou même sans brocante).
Pourtant j’ai de l’amour à revendre par containers de fret (ou peut-être même pas). Mais juste pas comme ça.
C’est pas grave.
Je fais des p’tits ronds dans le gravier du bout de ma Converse en attendant qu’elle arrive. J’ai mes collants roses pour qu’elle ne puisse pas me louper dans ce capharnaüm. 
Ce que je ne sais pas à ce moment là, c'est que c'est ici un des dernier rayons de soleil des trois prochains mois... et qu'en plus de ça, elle s'en va.