samedi 10 septembre 2011

Le sémaphore

Tout tient dans la main et pourtant tout est éloigné de tout. Il faut des millénaires de ferry retardé par la tempête pour toucher terre encerclée d'eau. Dans la lumière de six heures, après une nuit climatisée et un thé vert dans les voitures serrées, une longue marche et remarche sur le port de Toulon soir de match, se dessine ma plus chère des côtes en contre jour sur un soleil rose. Accoudés au pont dans des k-way bleus. Tartines méga express, déjeuner continental, débarquement en gare de Bastia. Glissons lentement vers le sud, tombons lentement dans la nature sauvage. De moins en moins de gens, moins de maison, fin de carrefour market, pas de train, pas d'autoroute, plus que du maquis. La route n'en finira jamais de s'étendre, les heures passent, les kilomètres à deux à l'heure, et apparaît au bout des lignes blanches infranchissables mais franchissables pour certains, la baie. Des montagnes de maquis qui se referment sur une baie aux eaux turquoises et au sable blanc. Des marais avec des animaux des marais, des pins biscornus sur la plage pour dormir à l'ombre, des vaches sauvages allongées sur le sable au milieu des rares parasols. C'est fini pour tout le reste. Se débarrasser du superflu. Se débarrasser de tout. En enterrant mes pieds dans le sable, en enfilant mon masque, j'ai l'impression de déposer un sac à dos lourd rempli d'affaires inutiles que je regrette d'avoir porté, et du coup de m'envoler délestée. Et encore, c'était sans avoir idée des rencontres qui se profilaient.
Randonnée, saucisson, Pietra, baignade dans des trous d'eau verte laissés par la rivière asséchée, jacuzzi naturel dans la roche, marche sous la forêt de pins immense de l'Ospedale, contemplation du barrage du lac dans la brume, cascade méritée de Piscia di gallu après descente et remontée à la corde, Bonifacio suspendue au bord du gouffre battue par le vent et les vagues, bouillabaisse de pêcheur d'exception, sémaphore de Pertusato au dessus des eaux bleues et des falaises de calcaire, pointe de la Chiappa, son phare à l'abandon une chaise en plastique devant l'immensité de la mer sous les figuiers de barbarie. Locaux militaires en pierre désertés et libres, en ruine et à tous. Rhum citron, ciel incroyable et étoiles filantes sur la mer, tempête, le plus bel orage presque tropical, qui fait plier les palmiers et exploser le maquis.
Il n'y a plus de nuit pour moi, le tout c'est de se lever tôt et d'emprisonner le moindre grain de ce sable. Parmi tous ces grains de sable, il y en a un qui n'a pas fini de me gratter dans ma chaussure, et celui là j'y reviendrai plus tard. Les heures se sont écoulées dans le grand bleu, qu'on soit percutés par les vagues, qu'on contemple la mer d'une falaise, qu'on soit tout au fond à voler en rasant le sol, entourés d’innombrables poissons.
Épuisés, il faut refaire toute cette route à l'envers pour revenir au point de départ, mais le sac à dos reste plus léger qu'à l'aller. On y a remis une partie des affaires parceque c'est la vie, mais certaines, lourdes, restent derrière nous. On joue du piano dans le bar du ferry où on boit des martinis et des whisky. Le bal des serveurs et serveuses est une grande danse coordonnée d'additions et de sourires, les notes, le thé chaud, la côte qui disparaît et qui fera bientôt place au grand large, je suis entrain de m'endormir assise les yeux ouverts.
Des crampes de palmes me réveillent la nuit. Et des sursauts où des créatures immenses apparaissent dans l'obscurité au fond de l'eau. Des tâches d'argent apparaissent tout autour de moi, et je m'endors, comme diluée dans un poison, comme si une morsure venimeuse me berçait au rythme des vagues.

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