mardi 1 juillet 2014

Elodée des marécages


Tu m’entends ?
Oui, non, dans cet état utérin.
J’entends mais loin et depuis un autre monde.
J’ouvre les yeux dans un fluide brulant, qui me dilate la pupille au maximum et fait baver les rayons du lustre de la salle de bain, qui deviennent des tâches d’huile et de taffetas. J’ouvre la bouche et dedans il y a un océan qui s’infiltre. Des poissons, tes yeux où dansent des bactéries au fond d’un cristallin limpide. J’ai envie de respirer. Je dois me faire violence pour ne pas le faire. Ma mère – alors que c’est de sa faute si nous en sommes là-- m’a répété mille fois de ne pas respirer avec la tête sous l’eau. Mais comment faire autrement que se noyer quand on a soif si viscéralement, que les poumons hurlent pour être remplis. Dans les premières secondes de ma vie je ne vois qu’en bleu, en apesanteur dans une piscine tiède. Il y a entre le reste du monde et moi ce voile déformant qui m’en isole pour toujours.

Une voix m’appelle depuis le rivage, je crois reconnaitre mon nom à travers la porte de la salle de bain, déformée par un liquide amniotique étrange.

Un drôle de choix, de donner naissance à La clinique du Grand Large, donnant comme une bombe à retardement l’occasion de devenir quelqu’un d’autre, le goût des choses salées, l’amour déraisonné des abysses. Un poisson terriblement désiré déploie des nageoires chiffonnées sous l’œil de sa maman. Elle découvre, tourmentée, dix doigts comme prévu au fond de la piscine, elle n’est pas ambidextre mais amphibie, encore reliée à son cordon qui l’oxygène dans son flottement.

Des moments de flottement, il y a en a eu tant d’autres ensuite.
Quand les choses vont mal, entre deux eaux. Devant une preuve d’amour, partir boire. Un verre d’eau pour que tout rentre dans l’ordre.

Je franchis la limite de la baignoire, m’assois au fond, l’eau monte jusqu’au moment où je vais pouvoir m’y dissoudre comme un cachet d’Aspirine et boire ma tasse, j’éprouve la même tension, le même appel bassement vital que celui qui aperçoit l’oasis après des jours de marche dans le désert. Je meurs de ma soif, et je me défais dans la seconde où je vais plonger.

Entrainée par le flot comme un embâcle, je reviens face à une mer trop loin. J’enlève chacun de mes vêtements de la même manière qu’on se débarrasse de sa peau, dans la frénésie qui commence à sourdre sous mes doigts. Sans préambule, je marche droit jusqu’à elle, fondamental et insondable Grand Large, pas de préliminaires entre nous, une entité immuable qui ne remue cil. L’eau est glacée et l’absence d’hésitation m’a coupé le souffle. Enfin, je sens mon corps se tendre vers quelque chose, un lieu où n’y a plus de dehors de dedans, d’après ou d’avant. J’ai froid, les lèvres bleues et déjà l’envie de me confondre avec toi revient au galop. Comme si je n’y avais pas encore cédé, comme si c’était le premier instant de la vie.

 

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