mardi 28 octobre 2014

Un faux pas qui nous rende exsangue


Ou captifs.
Je me vide de mon sang dans une poche, qui bascule d’un côté et de l’autre dans un mouvement incessant, avec un petit bruit de ventilateur. Je voudrais tout donner. Mes plaquettes, mon plasma, que mon sang continue éternellement à se transfuser dans un bac, pour qu’au fond de mes veines il n’en reste rien. Je ne veux plus de ce liquide qui passe en boucle et n’apporte rien de nouveau, que des éléments, des lipides, de l’oxygène. C’est toujours moi dans le marc au fond de la tasse, quoiqu’on m’ôte. Qu’on m’essore de ce jus qui ne sert à rien d’autre qu’à la vie. Une marre, sombre, il se balade dans le plastique comme les foies de volailles, je vais courir le 100 mètres pour avoir la tête qui tourne. Ce n’est pas un don, c’est juste une nouvelle manière de souffrir gratuit.
Si quelqu’un y trouve son compte et quoi faire de cette hémoglobine, tant mieux.
Je ressors dans le jour, qu’il fait jour, une jeune fille attend son rein, trois fois rien. Personne ne m’aide à porter mes courses, quand je reprends mon souffle au croisement. On me sourit à bout portant pourtant. Je n’y arriverai jamais, jusqu’à chez moi. Il fait trop chaud, c’est encore trop loin, pourquoi je porte aussi lourd, pourquoi je fais tout ça, pourquoi je m’inflige tout ça. Le rein est prélevé sur un donneur lointain. Je ne vais pas me laisser asseoir. Je vais préparer le dessert, qui n’aura aux yeux des autres pas le centième de la valeur qu’il aura pour moi, puisqu’ils n’auront pas surveillé le lait sur le feu comme du lait sur le feu, ou si leur vie en dépendait.
Aujourd’hui, la vie en dépend. Elle ne tient plus qu’à ça. Je me mords les lèvres pour ne pas trembler, la spatule en bois dessus-dessous. La crème devient cuivrée par stries, si je rate cette crème, la terre surement va s’arrêter de tourner.
Le rein palpite, prêt. Les boudoirs s'imbibent de rhum ambré. Il doit être tiède, des mains excitées veulent plonger dedans. Je me lèche les doigts, avant de me les mordre. Compatible en âge. L'odeur de la vanille malmenée dans l'écume du lait se répend dans l'appartement. Compatible, peut-être, en latéralité mais pas sûr que ce soit nécessaire. Je refuse de comprendre, le goût du vin, la saturation de mon palais pas le sucre du chocolat dissonent avec la tristesse. Pourtant elle surgit, un mélange salé et écœurant qui donne envie de vomir. Elle est incroyable et belle, la plus intrigante. Celle qu’il ne faut pas croiser. Avec laquelle il faut refuser de se prendre (perdre) au jeu, mener aveuglément par plus fou que soi. Devenir un héros (ça ne marche que quand on y laisse des plumes, sinon, qu’est-ce que c’est un héros ?). Une histoire d’amour, quoiqu’on en dise, c’est là que ça mène non ?
L’amour.
Le dessert est parfait. Le rein est vide. Il manque une telle quantité de sang dans cette journée. (A quoi ça sert que l’ambulance roule si vite alors ?). C’est le samedi entier qui est anémié. Une femme fatiguée va s’endormir hantée et une se réveiller sans ente. Un homme éveillé ne va pas réussir à s’endormir. P. n’est plus ni éveillé ni endormi.

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