jeudi 3 octobre 2013

Un porquépine

Effectivement il y a une grenade-à-tic-tac dans ma tête. Minuscule douleur (dans la moindre articulation) dont on peut s’accommoder sans trop d’effort. Du matin jusqu’au soir et du soir au matin. Luttant inconsciemment contre cette névralgie, je viens à bout de mon travail, de mes courriers, de mes coups de fil. Je déploie toute mon énergie pour arracher un contact œil-oeil au petit T. dont les yeux menacent de s’emplir de larmes à chaque nouveau mot que je prononce. Abandonnons tout ça, ne pleure pas (pas avec moi !) et dessinons plutôt les fonds marins de nos rêveries personnelles. Je fais des pieds et de mains « waou ! regarde-moi ça ! » « mais dis-donc, en voilà un beau poisson ! ». « C’est un porquépine» dit-il.
Vaisselle + caisse d’allocations familiales + poster la lettre + zapper + TER + TAG + RSI. Endosser les chèques. Passer à la banque. Des TIP, des RIB, l’ACCRE, le PPRE, le PPS. L’ADA-PL. Signer. Soussigner.

C’est une belle journée. Octobre commence et j’ouvre les yeux sur un ciel bleu moutonneux, en pensant au pur jus de clémentines pressées qui m’attend au frais. Il fait tellement soleil que je marcherai jusqu’aux bien lointains bureaux de l’URSSAF, ce sera toujours ce plaisir dans la poche. Je décline pour la centième fois me semble-t-il, mon identité à la jeune fille de l’accueil. Mon SIRET, mon immatriculation, mon numéro de sécu. Elle fixe l’écran, du temps passe, des gens s’ajoutent à la file d’attente les doigts croisés sur des pochettes plastiques. J’attends qu’elle dise quelque chose. Et le couperet tombe : « Je ne comprends pas ». Je repense à je ne sais plus qui ou quoi qui m’expliquait un jour la violence que représentent les administrations. Une forme de violence muette à laquelle nous sommes exposés sans nous en rendre compte, et qui nous fait petit à petit perdre des points de vie, ni vu ni connu.

« Patientez en salle d’attente un conseiller va vous recevoir, bureau numéro 3. »

Je remets la bride de mon sac sur mon épaule. Le trajet jusqu’au siège me semble infini, le hall immense. J’entends mes sandales  sur le carrelage –l’une plus aigüe que l’autre-, je m’assois et regarde mes mains. Cette « veine vaine » qui court de mon poignet à mon pouce gauche. Celle qui dessine ce drôle de relief et me captive quand je me sens défaillir. Cette veine bleue liée au sentiment d’étrangeté me dit « tu es vivante, il y a du sang là-dedans. Quand tu travailles, quand tu dors, quand tu caresses une peau ou prends des notes, cette veine est toujours là à pulser par un processus inébranlable. Que tu sois heureuse ou malheureuse, riche ou pauvre ». Je lis de loin les plaquettes et les affiches sur les régimes fiscaux. Je sens que je vais pleurer.

Retenant in extrémis le flux salé qui me montait aux yeux, la conseillère me fait signe que c’est à moi. « On va trouver une solution » « Merci, j’en peux plus » (il fallait que je le dise à quelqu’un) « Je vous comprends, ne vous inquiétez pas je vais tout arranger». Et elle a tout arrangé. Et je suis ressorti au grand air dans cette journée toujours magnifique.

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